Loss'Nîn.

Ce n'est pas la charge qui vous détruit, c'est la façon dont vous la portez. ━ Lena Horne.

C'est fade.
Tout autour de lui était fade. Les couleurs ternies par le chagrin, les larmes encore coincées entre les cils. Ce qu'il s'en voulait. Il regardait la fourchette comme un instrument maléfique, jouait avec. Parfois, lorsqu'il prenait le temps de s'y pencher, il arrivait à la faire tenir en équilibre sur les dents. C'était délicat, mais ça le rassurait. Il était concentré, ne pensait à rien d'autre. Il arrivait à la faire tenir debout, en retirait une certaine fierté alors que cela ne valait rien. Ce n'était pas important. À la fenêtre, le temps gris. Le bois perdait de son éclat sans le soleil, les nuits étaient chaudes, même en cette saison. Il faisait toujours trop chaud, mais il avait envie de porter un pull. Son pull. Et pourtant il avait froid à l'intérieur. Perturbant.
Tout ce qu'il mettait à la bouche était fade. Le lièvre n'avait aucun goût, mais il se doutât que cela ait trait à la dose qu'il avait prit. Nécessaire, selon eux. Vous ne pouvez pas aller travailler. Contentez-vous de vous reposer. Et il avait l'impression d'être un déchet. Un bon à rien. Il n'aurait pas du y aller. Il n'aurait pas du, simplement. Le téléphone l'insupportait, encore plus depuis que ce... Ce monstre avait eu connaissance des détails. De tout. -W savait tout, et il ne savait pas comment. Il n'avait jamais raconté cela, à personne. Rien de tout cela, et il ignorait jusqu'où il savait mais il devait savoir beaucoup. Beaucoup trop, certes, mais même. Il n'avait aucun moyen de savoir tout cela. Aucun sauf un. Mais c'était proscrit.
C'était inconcevable. Il aurait fallu le vouloir. Et était-il si intéressant de savoir cela ?

On frappe à la porte. Il a du mal à se lever.

Il le reconnut dès l'instant où son regard se posa sur le sien. Comment s'appelait-il... Riley. Riley. C'est ça. Le piège dans les bois, oui. Cet imbécile s'était retrouvé coincé dedans et s'était presque arraché la cheville pour s'en dépêtrer seul. Mais il allait bien, ce n'était rien. Tout allait bien. Lui, en tout cas, avait l'air d'aller. Ses yeux ne souriaient pas mais ce n'était pas grave, il n'avait pas besoin de cela pour paraître heureux. Il ne fallait pas grand-chose pour duper autrui. Lui, il souriait. C'était facile. Ça ne demandait qu'à avoir des muscles pour être possible. Alors il sourit. À peine, mais c'était suffisant. Il était bien plus agréable à regarder maintenant qu'il était habillé. Bien habillé, d'ailleurs, et il se douta qu'il n'était pas si bien préparé uniquement pour ses beaux yeux. Il ne savait pas d'où il venait, pourquoi, qu'importait. Il était là. Il était là, à sa porte, charmant mais craintif. Un habitant du petit peuple, à n'en pas douter.
Le corps dans l'encadrement de la porte, la tête basse pour mieux le regarder.

- Bonjour. Je peux vous aider ?

Aidez-moi, vous.
Non ne partez pas, s'il vous plait. Restez. Restez.

Riley se demandait encore pourquoi il se trouvait là.
Il se souvenait entre très bien de la dernière fois où il s'était retrouvé ici, enfin a proximité de cet endroit. Il n'avait jamais était scout et ne savait pas se repérer dans un bois, cependant il espérait bien être dans la bonne direction et que ses souvenirs ne l'avaient pas trompé.
La dernière fois c'était quand il faisait son jogging – activité qu'il n'avait pas abandonné – il était tard à ce moment là, et Riley n'avais jamais vraiment fait attention au dénivelé de terrain, ni où se posait ses pieds. Parce que quand il courrait, plus rien n'avait d'importance. Quand il courrait c'était avant tout se vider la tête et faire le vide autour de lui.
Ce jour là, il avait tellement bien fait le vide autour de lui, qu'il n'avait pas remarqué que tel un lièvre qui essaye de fuir son prédateur il avait  était trop dans le piège, les liens se resserrant autour de sa cheville. Mais là où tout aurait pu se finir naturellement et en douceur, Riley avait envenimé les choses. Comprenait le, il était en plein forêt, seul et surtout la nuit commençait à tomber. Il avait paniqué, jusqu'à faire plus de mal que de bien à sa cheville.
En tant que pompier, il savait que sa cheville était en mauvais état. Mais avec un strap et en désinfectant la plaie cela passerait très bien. Cependant, il était comme un lièvre effrayé et n'arrivait pas à se dépêtrer du piège. La seule chose qu'il arrivait à faire à tirer sur la corde comme un forcené était de resserrer les liens autour de sa cheville et de s'écorcher encore un peu plus.

C'est à ce moment là qu'il était arrivé. Discrètement sans faire un bruit, telle une ombre glissant entre les arbres pour surprendre l'animal blessé qu'était Riley. Devait-il lui faire confiance ? Le pompier n'avait pas vraiment le choix, il avait regardé cet homme des bois l'extirper du piège – qui était le sien – sans aucune difficulté.
Riley aurait aimé pouvoir rentrer chez lui, et oublier cette humiliation sur le champs, mais il ne pouvait pas marcher tout seul, il avait besoin d'aide et surtout qu'on désinfecte sa blessure. Et presque malgré lui, et en l'insultant pour avoir osé poser des pièges dans la forêt, il avait suivi Tyee jusqu'à chez lui.

Il s'était comporté comme le premier des enfoirés avec cet homme qui l'avait pourtant aidé et surtout sorti d'un mauvais pas, mais sa colère et son humiliation était trop vive pour qu'il puisse les taire.
C'est pourquoi aujourd'hui, encore une fois il se retrouve dans cette forêt dans lesquels il n'avait plus mis les pieds depuis quelques mois. Depuis sa dernière – et unique – rencontre avec Tyee, il avait eu le temps de repenser à son comportement et de s'en vouloir d'être parti sans même un merci. Alors après avoir repoussé encore et encore l'échéance, il s'était décidé à retrouver cet homme des bois pour le remercier.
Il se demandait encore s'il avait raison de faire ça, s'il il ne faisait pas une erreur, mais maintenant il était trop tard. Et puis il avait un pack de bière avec lui. A défaut d'avoir trouvé autre chose à lui ramener pour le remercier, il avait pris de la bière, parce que pour Riley c'était un moment de partage universel la bière.

Après bien des détours tortueux et surtout à tourner en rond dans la forêt avec ses arbres qui se ressemble tous, Riley avait enfin fini par retrouver le chemin qui menait à Tyee. Enfin à quelques mètres devant lui, se tenait sa maison – cabane ?
Faire demi-tour maintenant serait renoncé à tous les efforts fait pour le retrouver, et le pompier n'avait pas envie d'abandonner, pas maintenant. Même s'il ne savait pas quel accueil il allait recevoir auprès de cet homme. Après tout il pourrait très bien l'envoyer balader...ou pas. Riley devait tenter sa chance et surtout il devait s'excusait.

Après avoir frappé lourdement à la porte, il attendait qu'on lui ouvre. Peut-être n'était-il pas là, peut être se promenait-il dans les bois. Mais toutes ses réflexions étaient inutiles puisqu'on venait de lui ouvrir la porte.
Riley se sentit soudain gauche face à cet homme qu'il ne connaissait pas. Une sourire crispé s'installa sur ses lèvres – comme à chaque fois qu'il était mal à l'aise -

« Heu, désolé de venir sans prévenir.... »

Maintenant que Riley y pensait, se présenter chez les gens sans avoir prévenu n'était pas très poli. Cependant, il n'avait pas de numéro, et il ne pouvait décemment pas envoyer un courrier pour prévenir qu'il se présenterait tel un inspecteur des impôts tel jour à telle heure.

 "Je...en fait je viens pour te remercier pour la dernière fois. Et m'excuser aussi. Je peux entrer ?"

En demandant l'autorisation d'entrer, Riley avait levé son pack de bière à niveau de visage, comme si c'était une clé universel qui donnait l'accès à l'intérieur des maisons de toutes personnes sur cette terre.

Loss'Nîn.

When everyone gets better, everyone gets better. — Tait Fletcher.

Il était adorable.
Et absolument pas obligé d'adopter cette attitude gênée, cette moue d'angoisse qui ne lui allait pas du tout. Son sourire à lui était franc. Peut-être un peu trop franc, et il laissa échapper un rire discret. Le même rire qu'il avait toujours eu lorsqu'il ne savait pas où se mettre alors qu'il était chez lui. Sur sa parcelle de terre à lui, dans sa maison qu'il avait construite avec ses mains, délestant les siennes de la boisson qui l'accompagnait. Trois chacun, et cela serait suffisant. Ils déconseillaient de prendre le volant, d'aller travailler, de rester seul, mais ils ne parlaient pas de boire. Au moins ne serait-il pas seul.
Il s'écarta pour le laisser rentrer, se ravisa au dernier moment. Gobant sa lèvre au passage, pincée par ses canines trop longues. Un dernier regard à sa silhouette élancée et gracile pour se conforter dans l'idée qu'il serait de bonne compagnie, et ses doutes mis au placard. Pas la tête à cela. Il pouvait être mauvais, il pouvait être ingrat, il pourrait lui faire du mal mais il viendrait s'excuser comme il le faisait. Et puis non, il était adorable. Sa naïveté le perdrait, et il était adorable. Cela suffisait amplement.

- Fermez la porte d-derrière vous, s'il vous plaît.

À peine murmuré, il était déjà loin lorsqu'il lui laissa le champ libre, l'invitant à venir le rejoindre. En rentrant, il passa devant la commode. Ouvrit le premier tiroir, un trousseau de clefs, planta l'une d'entre elle dans la serrure juste à côté. Sa chambre, à double-tour. Et lorsqu'il fut question de faire retourner les clefs à leur place, il hésita à les glisser dans sa poche. Mais non. Il lui ferait confiance. Il lui ferait confiance quitte à le regretter. Ce n'était rien.
Plus maintenant. Pas maintenant qu'il était fatigué.
La cuisine, et les bières déposées sur le plan de travail. Sa voix se fit imposante, et étrangement douce.

- N'ayez p-pas peur. En face, ils disent q-q-que je mange les gens. Mais je n'ai pas si faim.

Ils parlent de ce qu'ils ignorent pour se leur faire connaître et le mépriser à loisir. Il est tellement plus simple de ne pas apprendre.
Un doigt pour déchirer le carton d'emballage, deux bouteilles en verre sorties, décapsulées au manche de couteau. C'était presque plus facile que défaire les nœuds dans lesquels les chiens s'embarquaient à force de jouer entre eux au lieu de tirer les traîneaux. Du moins le sien. Il n'avait jamais eu d'autorité avec les chiens.
Ses yeux se fermaient seuls or il ne peina pas à gagner le canapé usé, à déposer les deux bières en évidence sur la table.

- Vous n'étiez pas oblig-g-gé de revenir. Vous excuser. Je le savais d-déjà.

Je sens ce genre de choses. Je sens les gens intelligents, les gens profondément bons.
Les gens profondément perturbés ou malheureux aussi.

- Pourquoi êtes-v-vous ici, Riley ?

En fermant la porte derrière lui après que Tyee lui ai demandé, Riley avait l'impression de fermer la porte sur sa seule chance de fuite. Il se sentait comme Hansel et Gretel pris au piège dans la maison au pain d'épice de la vilaine sorcière dans les bois. Pourtant même s'il n'était pas rassuré et que son sourire crispé ne le quittait pas, il n'arrivait pas à imaginer Tyee comme tel. Surtout que les rumeurs allaient bon train sur lui parce qu'il avait choisi un mode de vie différent. Mais il ne voulait pas faire comme les autres. Riley voulait se faire sa propre opinion. Et chose importante, il ne pouvait penser un instant qu'il allait lui faire du mal ou n'importe quoi.
S'il le pompier devait comparer Tyee, il choisirait un elfe sans aucun doute. Pas parce qu'il vit dans la forêt et que la comparaison est facile, mais il y avait chez lui cette espèce d'aura mystique qui donnait envie d'en connaître plus sur lui, d'essayer de deviner qui se cachait derrière cet homme des bois.

Son sentiments de malaise aurait pu s'intensifier en voyant Tyee fermer les portes à clés de chez lui, mais après tout il était justement chez lui et il voulait certainement préserver son intimité des regards indiscrets. Il ne pouvait décemment pas lui jeter la pierre pour ça. Et puis de toute façon qui était-il pauvre homme pour porte un jugement sur autrui ? Surtout que ce n'était en aucun cas la raison de sa visite ce soir.

« Si vraiment ça avait été le cas. Le meilleur moment pour me manger c'était présenté la dernière fois »

Cette phrase avait eu pour effet de détendre Riley. Comme si toute sa tension venait d'un coup de s'envoler grâce à une petite phrase. Bien sur il savait ce qu'on disait de Tyee en ville, il savait qu'on le traiterait de fou pour avoir oser mettre les pieds chez lui. Mais sérieusement manger des gens ? Ils auraient pu trouver mieux s'ils avaient voulu le discréditer ou simplement lui faire du mal. Personne au monde ne pourrait croire une chose pareil, quand bien même la personne habitait dans les bois et fabriquait des pièges pour les animaux.
Riley avait oublié que Tyee bégayait. Pas que cela avait de l'importance ou quoi que ce soit – la preuve ce n'était pas un détail qui l'avait marqué – mais il se demandait d'où cela pouvait provenir. Enfin cela ne le regardait pas vraiment.

« Je...tu peux me tutoyer tu sais. »

Le pompier n'avait jamais été très au point avec les vous et toutes ses marques de politesse. Bien sur avec ses supérieurs et les gens qu'il ne connaissait pas il l'employait. Et d'accord il ne connaissait pas Tyee non plus, mais c'était quand même l'homme qui l'avait aidé quand il était pris au piège comme un animal sans peureux et puis n'était-il pas en train de partager une bière ensemble ? D'ailleurs il pris une gorgée de sa bière pour se donner une certaine contenance et surtout pour bien peser les mots de sa réponse. Pourquoi était-il ici ? C'était une excellente question. Et à dire vrai, il n'était pas sur lui même d'avoir la réponse.

«Le coup de l'excuse ne fonctionne pas ? »

Tyee n'était pas dupe. Riley non plus d'ailleurs. Les excuses étaient simplement un prétexte pour venir jusqu'ici. Pour donner une vraie raison à sa venue, parce que venir taper chez quelqu'un qu'on ne connaissait pas, juste comme, c'était un peu limite.

« Pour faire connaissance j'imagine....et échapper au monde »

Dire qu'il voulait faire connaissance avec lui était peut être un peu hypocrite, mais il y avait un gros fond de vérité. Tyee l'intriguait et il avait envie d'en savoir plus sur lui, sur les pourquoi de son choix de vie. Et puis c'était la seule personne qu'il connaissait – de près ou de loin – qui pouvait lui permettre d'avoir l'impression de partir dans un autre monde. Pour une durée limitée certes mais qui lui permettait de déconnecter. Voilà exactement la réelle raison de sa venue ici.

Loss'Nîn.

Mes souvenirs me font vomir. — Alice Liddell.

Le tutoyer. C'était d'usage avec les gens que l'on connaissait, en qui l'on avait confiance. Il avait encore du mal avec cela. Pas que les gens lui fussent spécialement désagréables, seulement il n'avait jamais de quoi cesser de les vouvoyer. Pas de preuves, pas de demandes explicites, rien de concret, et il avait besoin de mots pour comprendre de la part de ceux en qui il ne croyait pas. Il avait besoin d'obéir à quelque chose qu'il connaissait. Les ordres étaient à sa portée. Il avait mit un temps fou avant de tutoyer ses élèves. N'y arrivait pas toujours. Quand il est arrivé au lycée, on l'a appelé Pocahontas, et il allait jusqu'à ignorer cette référence. C'est à cause de cela qu'il avait sacrifié ses cheveux au profit d'une coupe courte qu'il avait apprit à affectionner avec le temps, n'avait jamais cessé de craindre, étrangement.
Le regard bas, et l'incapacité de lui répondre mieux qu'avec un hochement de tête timide. Le tutoyer, oui, c'était sans doute une bonne idée. C'était sans doute mieux comme cela. Il reconnut ne pas avoir été tout à fait honnête, il ne lui en voulait pas. Il faisait pareil avec tout le monde. C'est sa réponse qui lui fit lever les yeux, arquer un sourcil. Faire connaissance, comme aucun avant lui. Aucun qui n'ait eu le culot de venir frapper à sa porte, en tous cas. Aucun d'aussi... sincère. Simple. Et échapper au monde. Echapper au monde auprès de celui que le monde n'avait de cesse de courser. C'était... étonnant. Un peu merveilleux, sans doute utopique, mais il se garda bien d'en dire quoi que ce soit. Il était une échappatoire au monde pour quelqu'un. Il était une échappatoire, c'est tout ce qu'il avait à comprendre.
La gorgée amère glissait le long de ses entrailles et son sourire acceptait son fardeau humblement. Il se sentit sec, faible, vulnérable, et il ne baissa pas les yeux. Il n'en avait pas besoin.

- C'est... Un honneur. Que t-t-tu me fais.

D'être attentif. Non. D'être là. Par les Esprits, il y avait quelqu'un chez lui. Un étranger. Quelqu'un. L’œil glissa sur la fourchette, remonta aussitôt en compagnie d'un frisson qui parcourut tout son dos. C'était grisant, de se savoir ainsi en compagnie. Cela faisait des années. Trois ans. Trois ans. Et il avait envie de parler.

- Dois-je... Ai-je q-q-quelque chose à dire en p-particulier ? Je... Répondre à tes questions ? P-P-Prendre le ton que j'utilise avec mes élèves ?

Un sourire, encore un. Toujours, maintenant que tout allait bien. Qu'il pouvait parler. Qu'il pouvait écouter. Ecouter. Seconde lampée de bière, bien plus profonde que la précédente. Un peu trop profonde pour qu'il soit pris au sérieux, mais ce n'était rien. Il n'était jamais soûl.

- Que veux-tu s-savoir ? Je peux... Enfin, je... je ne sais p-p-pas ce qui t'intéresserait et... Pardon.

Plus le temps passait, et plus Riley se demandait si au final il ne dérangeait pas Tyee. Après tout il s'était présenté sans prévenir d'une quelconque manière, et n'avait pas laissé le choix à cet homme des bois de lui dire non, il était entré en s'invitant comme si il était dans la famille ou chez un vieux pote.
Et il avait la désagréable sensation de ne pas être le bienvenu, que cet homme assis devant lui voulait être en paix avec lui même et surtout avec son monde, malheureusement le Riley était une espèce têtue qui une fois qu'il avait quelque chose en tête ne pouvait s'empêcher d'aller jusqu'au bout. Et ce mystère qui planait autour de Tyee l'intriguait autant qu'il l'intéressait.
Peut être n'avait-il pas souvent l'occasion de parler avec les gens – vu les rumeurs qui courait sur lui, on pouvait comprendre son retranchement – ni de recevoir beaucoup de monde. Ceci dit, il ne pouvait lui en vouloir, s'il était dans la même situation, le pompier aurait certainement préféré lui aussi la présence des animaux qui ne pouvait en aucun cas le juger, plutôt que de ses semblables qui était bien trop cruel. Une bande de hyènes sur une proie sans défense.
Les gens avaient tendances à s'attaquer aux personnes faibles, aux personnes différentes, de peur de ne faire partie de cette catégorie. En un sens c'était uniquement chacun pour soi. Tel était la nature humaine. Malgré cela, Riley continuait à croire que des gens sincères et gentils existaient encore dans ce monde, comme sa belle Sasha, et comme Tyee également. L'un comme l'autre, aucune once de méchanceté n'émanaient d'eux.

Bien que sa tension était passé au fur et à mesure qu'il buvait sa bière, Riley et Tyee avaient tous les deux du mal à avoir une conversation normale. Quoi de plus logique, il ne se connaissait ni d'Eve ni d'Adam et aux dernière nouvelles n'avaient pas non plus élever les cochons ensemble. Leur rencontre tenait à un concours de circonstance et la maladresse du pompier qui avait tendance à ne jamais regarder où il allait. Il était même carrément tête en l'air. Ce qui semble t-il faisait son charme d'après quelques une de ses ex et sa maman.

Maintenant que l'entrée en matière était passé, il n'y avait plus qu'à se lancer. Il ne se rappelait plus comment il faisait quand enfant il essayait de se lier avec quelqu'un. Tout semblait tellement plus facile à cet époque. Il suffisait de faire du foot, ou du basket pour que les autres gamins du parc soient ses amis. Maintenant c'était beaucoup plus compliqué, mais il n'abdiquerait pas aussi facilement, il n'avait pas cherché pendant une heure cet endroit pour partir au bout de 10 minutes et une bière.

« Je dois avouer, que je ne sais plus non plus comment procéder pour faire connaissance. Mais je viens d'apprendre une chose, si tu as des élèves tu dois être prof ou instit »

Les dernières rencontres que Riley avaient faite c'était Sasha dans un bar, et entre eux tout s'était naturellement passé, peut être même trop bien passé. Mais après super connard avait fait son apparence donc il revenait au point de départ, mais arrivait à avoir des conversations sur tout et rien. Liz, il l'avait rencontré au détour d'une rue alors qu'elle était perdue. Perdue dans la ville et dans son couple et il l'avait raccompagnait jusqu'à chez elle. Et ensuite c'était tout. Il y avait bien ce petit minus de Connor mais lui c'était particulier. Donc on pouvait dire que l'un comme l'autre était novice dans l'art de se faire des amis.

« On pourrait commencer simplement. Tu viens d'où ? »

Faire dans la simplicité pour l'écouter, et peut être trouver des points communs et ainsi avoir une conversation qui ne soit pas trop guindé. Et puis demander d'où il venait était une question tout à fait banale. En règle général, les gens venait tous d'endroits différents, rare étaient ceux qui était de Lakeview depuis longtemps.

« Ne t'excuse pas voyons. C'est de ma faute, je me ramène chez toi comme un cheveu sur la soupe alors que tu avais peut être quelque chose à faire. »

Si quelqu'un devait s'excuser dans cette pièce, c'était Riley et en aucune façon Tyee.

Loss'Nîn.

Pas de regrets pour ma jeunesse. — Kimura, Aoi Haru.

Faire connaissance.
Avant, il n'avait pas même à faire connaissance. Tout le monde se connaissait. Dès sa naissance, il connaissait sa famille, il connaissait Lieb, les autres membres du clan, leurs enfants, les aïeuls et les ancêtres car ils n'étaient qu'une immense famille. Plus tard, bien plus tard, il apprit ce qu'était l'inceste et avait compris qu'il n'était pas simplement immoral d'enfanter avec l'une de ses sœurs, quand bien même leur sang était différent. Ils avaient grandi ensemble, n'étaient pas des âmes sœurs, et l'on accueillait le sang neuf dans les villages dans lesquels ils passaient. Les amours se tissaient, et le clan prospérait. Il n'avait pas à tomber amoureux de ses sœurs, n'avait pas d'intérêts à aimer ses frères comme on aime une femme. C'était... Perturbant, d'y repenser. Pas tant que cela, mais c'était... Un autre monde. Très primitif, et pourtant si civilisé que cela lui faisait peur. Affreusement peur.
Non. Les médicaments, c'était pour oublier. Pour oublier. Il ne finissait pas la bouteille pour rien, il n'était pas dans cet état pour fuir, mais pour oublier, un temps soit peu. Lieb le verrait ainsi, elle comprendrait. Elle aurait été la seule à comprendre, elle était la seule à ne pas venir de là-bas. Elle n'était pas comme eux. Pas comme eux.
Et il avait compris ses craintes très tôt. Trop tôt, peut-être. Les larmes montèrent aux yeux mais ce n'était rien, il était chez lui. Et il n'avait pas tant la force de lutter. Pour la forme, si. Pour la forme il lutterait. Et lorsqu'il n'y aurait plus de forme à tenir elles tomberaient, et Riley serait témoin. Un seul écart, un seul. C'était suffisant pour tout détruire, c'est vrai, mais Riley n'avait rien à voir avec tout cela. Et s'il était -W il savait déjà, et s'il était innocent il pourrait comprendre, et à quoi bon cacher ses démons alors qu'ils étaient à sa porte ? À quoi bon ?

- Professeur d'Histoire. Je n-ne m'en plains pas.

Ravale tes angoisses en même temps que ton bégaiement ridicule, garde l'accent pour ne pas les renier. Tu es un fils de la toundra, tu es né là-bas, et l'on s'est battu pour que tu y ais ta place. Tu as ta place, toujours, là-bas. Là-bas. Mais il n'y avait plus personne pour la garder.
La forme n'avait pas duré aussi longtemps qu'il l’espérait. Sans doute l'alcool. Sans doute.

- ... D'où je viens... ? C-c'est... Ce n'est pas banal c-c-comme question.

La main devant les yeux et la tête lourde. Il savait qu'il ne devait pas y penser. Il le savait, d'autant plus qu'il ne savait pas parler. Qu'il parlait, oui, mais à des élèves, pas à des gens, comme ça. Des inconnus. Des inconnus invités chez lui par hasard, qu'il avait convié, délibérément, des inconnus venus troubler sa tranquillité alors qu'il n'aspirait qu'à de la compagnie. Il l'avait, elle était là, Riley, son sauveur, parce qu'il était son sauveur cette fois, c'était lui, et il ne savait pas quoi dire. Alors il resta muet, le regard bas, la respiration lente et profonde, la gorge obstruée par des graviers qu'il avait beau avaler, ils ne disparaissaient pas. Ils ne s'en iraient jamais.

- Je viens de nulle part. D'une lande qui, ici, n'a p-p-pas de n-nom. Près de B-Béring. Côté russe. C'est... un end-d-droit où il neige, t-tout le temps. Perdu, et loin, et... Inconcevable p-pour ceux qui n-ne l'ont jamais vu.

Voilà.
Tu ne viens pas d'ici, tu es un étranger. Il le sait, il le sait. Tu aurais pu le renseigner davantage ou le congédier, mais non, il a fallu que tu répondes quelque chose d'évident. Le verre froid de la bouteille contre le front, les larmes séchées pour ne pas qu'il puisse les voir trop tôt. Lorsqu'il commençait, il ne s'arrêtait plus et dans son dos, de vieilles relations se retrouvaient en de chaleureuses étreintes. Urticantes à souhait, d'une perfidie sans équivoque. Il n'y avait rien à rajouter.

- Et toi ? Tu d-dois bien avoir grandi dans un... Quart-tier ? Une rue ? C'est ç-ça ? Comment était-ce ?

Ça brûlait.
Si seulement je savais parler, Riley. Je suis tellement désolé.

Professeur d'histoire. Cela laissé rêveur le petit Riley.
Si il y avait bien une matière qui l'avait passionné à l'école, c'était l'histoire. Et pas seulement l'histoire des États-Unis, non parce que même s'il était content d'en savoir beaucoup plus sur les origines de son pays, il aimait particulièrement la période de la grande guerre et la suivante qui avait suivi et qui avait fait place au nazisme. Comprendre les enjeux politiques et économique de ces grandes guerres qui avaient changé le cours du monde le fascinait. Tout comme cela le perturbait de savoir que tant de personne étaient morte pour leur pays et pour des idéaux. D'ailleurs quand il était jeune, s'il y avait bien un cours dans lequel il était plus fort que les autres, c'était l'histoire. Parce que selon Riley on était toujours rattrapé par son histoire. Que ce soit au niveau mondial, on alors à plus petite échelle.
N'était ce pas pour cela qu'il était chez Tyee ce soir ? Parce que son histoire l'avait rattrapé, une histoire qu'il aurait tellement voulu oublier. Une histoire que cet enfoiré de -W s'était amusé à remettre sur le tapis. Cela aurait pu très bien en rester là, on entre par effraction chez Riley, mais personne n'en sais rien. Sauf que ce minus de Connor était venu lui faire une visite surprise et le pompier avait du lui expliquer une partie de son passé.
Ce n'était pas une chose qu'il avait aimé faire, surtout à cet homme. Généralement quand il avait besoin de parler, il se tournait vers Alexa. Elle était sa famille et ne l'avait jamais jugé. Malheureusement l'histoire – ou -W – avait également rattrapé sa tendre amie. A croire que c'était amusant de faire souffrir les gens de la sorte.

“C'est tellement passionnant l'histoire. Tu dois être un bon prof.”

Quand savait-il ? Riley n'avait jamais assisté à l'un de ses cours. Mais le pompier disait cela par pure politesse, parce que c'était ce qu'on attendait de lui. Peut-être que Tyee était l'un de ses profs soporifique qui se contentait de lire des notes sans mettre la passion nécessaire aux cours pour intéresser suffisamment les élèves. Mais bizarrement, il ne le voyait pas comme ça, bien au contraire. Il avait l'impression que Tyee était le genre d'homme à vivre ses cours comme s'il y avait pris part personnellement.

“Cela doit être un endroit magique, j'imagine que tu n'a pas beaucoup d'occasion d'y retourner”

Si une chose faisait rêver Riley, c'était la neige. Au premier flocon il se sentait comme un gamin et avait envie de sauter partout et de se rouler dedans, pour à la fin de la journée se retrouver devant un bon film et une tasse de chocolat fumante à la main. Ou alors tout simplement rester à la fenêtre et regarder la neige tomber. Cela l'apaiser autant que ça le rendait heureux. En hiver il n'avait pas besoin de plus.
Le pompier ne savait pas si c'était un sujet sensible ou pas. Généralement parler de là où venait et donc par ricochet de sa famille pouvait être aussi bien compliqué que famille. En famille rien n'était tout noir ou tout blanc. Il marchait donc sur des œufs, et s'en voudrait énormément d'avoir entamer un sujet difficile.

“Je suis originaire de Chicago. J'y ai vécu avec mes parents....et mon frère.”

Chicago, la ville de tout ses démons. La ville qui lui avait pris ce frère tant aimé, cette ville qui l'avait tombé du côté obscur de la force et l'avait vu tombé plus bas que terre. Malgré cela, il avait eu de la chance d'être bien entouré et grâce à certaines personnes qui lui avait tendu la main, il avait pu se relever, et repartir sur le droit chemin.

“Excuse ma curiosité Tyee, mais comment on passe d'une lande perdu pour une ville comme Lakeview ?”

Ce n'était un mystère pour personne qui le connaissait un tant soit peu. Riley était extrêmement curieux et il adorait en savoir le plus possible sur les gens qui l'entourait. Cependant celui lui avait valut, pas mal de surprise.

Loss'Nîn.

Qui ne craint point la mort ne craint point les menaces. — Pierre Corneille.

On n'apprend pas l'histoire.
Un professeur, c'est un humain qui enseigne à d'autres humains. Il enseigne le savoir, l'explique, pour qu'autrui comprenne et sache l'expliquer à son tour. Une passation de savoir sanctifiée, sans doute à raison. Lui ne prenait pas part à cela. On instruisait ceux qui voulaient être instruits, les autres se perdaient dans les méandres d'une inculture qu'il avait cherché à fuir toute sa vie, ne concevait pas que l'on ne puisse pas vouloir s'intéresser au monde, mais rien n'y ferait. Ceux qui ne veulent pas apprendre n'apprendront rien, et on leur trouvera une fonction. Quelques travaux qui ne demandent pas de savoir. Et du plus loin qu'il s'en souvienne, tous les enfants du clan étaient éduqués et instruits. Les deux, bien distinctement.
Il y avait des professeurs, et on les appelait les aïeuls. Ils étaient les gardiens du savoir comme les plus jeunes prendraient la relève une fois leur esprit parti et seraient, à leur tour, gardiens du savoir. Pas le choix. On n'enseignait pas l'histoire, on ne l'apprenait pas. Elle faisait partie d'un quotidien que l'on vivait. L'histoire, on la vivait. On était en plein dedans. Ce que l'on aurait enseigné, c'était la vie, et la vie était vaste. Alors on ne pouvait pas tout en dire. En faire le tour. Pure logique. Les aïeuls n'enseignaient pas et les futurs aïeuls n'apprenaient pas. On racontait l'histoire, on écoutait, et on vivait. Aussi simplement que cela.

- Les élèves comprennent. C'est tout c-ce qui importe.

Et toi Riley, qu'est-ce que tu peux comprendre ?
Il était là pour s'évader. Pour quitter le monde et ses tourments au profit d'un monde qui lui semblait plus calme, et il avait raison. Dans le monde de Tyee, on ne s'insultait pas et les conflits ne duraient jamais bien longtemps. Dans le monde de Tyee, les remarques n'étaient pas acerbes et la maladie était chose rare. La mort n'effrayait personne et l'on savait comment être heureux, pourquoi on l'était. Les futilités n'avaient pas leur place, tout devait être utile. Tout avait un but bien précis, qui servirait le monde. Ce monde-là ne connaissait pas la technologie et la facilité que les sournois avaient à se cacher derrière. Ce monde-là avait ses propres problèmes, qui faisaient sa force. La même chose qu'ici. Là-bas, c'était simplement plus calme. Et l'on te regardait tout le temps parce qu'il n'y avait personne d'autre à voir. Tout le temps.
Trop.
Il voulut ravaler le sanglot et s'étouffa avec. Ne mit pas seulement la main devant sa bouche, mais se terra sur le fauteuil, ramena ses jambes dessus, se recroquevilla. Simplement. Laissa aller les larmes, il était temps. Plus la force. Plus de quoi lutter.

- On ne passe pas. On cherche s-sa place et on ne passe p-pas.

Il n'y avait qu'à voir les rumeurs qui courraient à son sujet, tout ce que savait -W. Tout ce dont il était au courant, et qu'une seule personne avait pu lui dire. Evidemment. Et cela semblait pourtant si... Si incroyable qu'il ne savait comment réagir. Comment prendre tout cela. C'était beaucoup, beaucoup trop. Les événements défilaient sans qu'il ne puisse les contrôler, les retarder. Sa vie, guidée par un hasard duquel il se savait étranger, lui faisait peur. Affreusement peur. Témoin de sa propre histoire, spectateur et non plus acteur. Elle lui manquait. Elles lui manquaient.

- J'y suis retourné. Il y a peu.

Et elles lui manquaient.
Un soupir, un gémissement. Il se savait aveugle, les pupilles dilatées, les glandes lacrymales fonctionnelles. Un peu trop. Il se savait faible, peut-être pas à ce point, et sentit son corps se relâcher. Ses épaules tomber, la tête lourde s'effondrer contre ses jambes. Non, il ne se montrerait pas. Il attendrait que les pleurs soient loin pour relever la tête. Il pouvait parler. Il le pouvait. L'accent revenait, très fort, lorsqu'il n'avait que la parole comme défense. Et comme les racines renouaient avec le corps, étrangement, il ne bégayait plus autant. L'anglais était mauvais. Le yupik bien moins.

- Toi aussi, on t'envoie c-c-ces messages... ?

Ne me mens pas Riley.
Je le saurai.

Depuis quelques temps, Riley avait senti qu'une certaine tension habitait Tyee, mais il n'en connaissait pas la raison, et surtout il ne savait pas s'il voulait en parler. Le pompier avait peur de commettre un impair, et surtout il ne savait pas comment il réagirait face à cette situation.
Oui en ce moment même, Riley redoutait le fait que Tyee puisse craquer devant lui, et il avait honte, parce que c'était lui qui avait chercher la compagnie de cet homme des bois, lui qui s'était invité chez lui, et lui qui voulait parler. Et puis merde, c'était dans ses habitudes d'écouter les gens donc en quoi ça serait différent ce soir ?
Peut être parce qu'il y avait un je ne sais quoi mystique qui impressionnait Riley. Il n'était pas con pour autant, il ne croyait pas qu'il y avait quelque chose de surnaturel chez l'homme qui se tenait en face de lui – de toute façon il n'y croyait pas – mais oui il y avait une sorte d'autorité naturel qui émanait de lui et qui impressionnait notre petit pompier.

Le moment que Riley avait tant redoutait, venait finalement d'arriver. Comme si depuis l'arrivée du pompier il avait voulu sauver les apparences, mais qu'il n'avait plus la force de faire semblant, ou alors les questions du jeune homme l'avait fait craquer. Toujours est-il que Tyee c'était recroquevillé comme un enfant sur sa chaise. Riley ne savait pas quoi dire, ni faire. Il n'avait jamais était le genre de personne à savoir réconforter les gens. Alexa mise à part, elle était sa meilleure amie, presque sa sœur. Avec elle il n'avait pas besoin de faire semblant, ni de se contrôler. Mais sinon il n'était pas forcément le genre de gars tactile. Alors la seule chose qu'il pouvait faire, c'était de rester sur sa chaise et d'attendre. C'était certainement ce qu'il y avait de mieux à faire, enfin c'est ce qu'il croyait.
Il avait continué à parler de la famille, et de son endroit féerique, mais il était clair qu'il avait envie de parler d'autre chose. Riley ne savait pas quoi exactement, mais il se doutait bien que le sujet arriverait sur le tapis à un moment ou un autre. Et c'était effectivement le cas, Tyee avait envie de lui parler de -W. Enfin il ne l'avait pas clairement exprimé, mais c'était bien ce qu'il sous entendait. Après tout qui d'autre que -W pouvait inspirer une telle peur et une telle souffrance à travers de simple message.

Maintenant plusieurs solution s'offrait à Riley. La première et certainement la plus simple, nier sur le fait qu'il savait de quoi il voulait parler avec les fameux messages. Ou alors deuxième solution, lui avouer la vérité et dire que oui. Surtout que c'était en partie pour ça, que Riley avait cherché la quiétude des bois et de la compagnie de Tyee.

“Tu veux parler de -W c'est ca ?”

Qui d'autre de toute façon pouvait faire peur à quelqu'un e cette façon. Riley avait plusieurs fois était l'objet d'attaque de cet enfoiré, mais la dernière avait était la plus violente selon lui. Enfin merde, on s'était introduit chez lui sans aucun signe d'effraction. Comme si la personne responsable avait un double des clés. Alors le pompier était peut être paranoïaque, mais il avait préféré changer ses serrures, plutôt que de prendre le risque que cela se reproduise une nouvelle fois.
Du coup Riley ne pouvait s'empêcher de se poser des questions. De quoi Tyee pouvait bien avoir peur, qu'avait-il fait dans le passé qui puisse lui faire peur à ce point ?

“Oui....oui j'ai déjà reçu des messages.”

A quoi bon faire semblant de toute façon. Il avait besoin d'en parler, et Tyee aussi apparemment, donc autant en profiter.

Loss'Nîn.

Il y a des pensées diaboliques même dans l'esprit le plus angélique. — Rachel Wolchin.

Il était innocent.
Il avait ses secrets, mais il était innocent. Du moins il l'espérait, mais c'était ce que lui hurlait l'instinct. Il n'était pas blanc, personne ne l'était, et sa définition de l'innocence était bien différente de celle de ces lieux. Bien plus rationnelle, raisonnable. Innocence n'était pas candeur, le français était clair. Il aimait cette langue, ne la parlait pas. Pas suffisamment à son goût. Et de ce qu'il en savait, Riley était innocent. Quelles qu'ont été ses erreurs, quelles qu'elles seront à l'avenir. Il était innocent, c'était l'évidence même. C'était si... Intense. Il aurait du mal à assumer un mauvais jugement, mais il n'y en aurait pas. Riley était trop pur. Bien trop pur.
Les yeux dépassant légèrement derrière ses genoux, créature curieuse avide d'observer. S'il avait été un animal, il aurait aimé être un hibou. Une chouette. Il ne savait trop pourquoi, en vérité, juste un souhait. L'ours lui allait mieux, sans doute. Il s'y refusait. Clairement. Il ne connaissait pas suffisamment Riley pour connaître son totem, pariait sur un animal communautaire. Attaché à la famille. Il ne se trompait que rarement. L'évidence suinta de son visage comme la sueur qui trahissait sa gêne, les joues rouges et chaudes apaisées par une paume glacée contre elles. Un silence qu'il savait éloquent uniquement pour lui, une réflexion à vif qu'il savait intelligente, au moins assez pour se permettre de faire de l'esprit. Des paupières inexistantes pendant de longues secondes, garder les yeux grands ouverts. Il suffisait de si peu d'inadvertance pour voir un monde s'écrouler.

- Ils sont plusieurs.

-W. Une institution plus qu'une machination, une cruauté qui remettrait presque en question la notion de torture. Ils étaient criminels, plus noirs que le goudron, aussi chastes et purs que les Apôtres. Autant que peuvent l'être des hommes. Si le monothéisme avait quelque enseignement qu'il ne contredisait pas, c'était bel et bien le fait que l'homme ne pouvait juger un autre homme. Qu'une force supérieure le puisse était somme toute plus acceptable, toujours avec retenue, il n'y croyait pas vraiment. Pas que les hommes puissent se prétendre assez respectables pour juger de la valeur d'autrui. Pas les hommes. Pas aussi faillibles que les hommes étaient. Riley en avait été la victime et voilà un acte purement répugnant qu'il ne pouvait pardonner. Et pourtant il pouvait en pardonner, des actes. Presque trop à son goût, maintenant qu'il pensait comme eux. Maintenant qu'il avait soupçonné et jugé à son tour.

- Quoi que t-t-tu ais fait, tu ne mérites pas cela.

Moi c'est autre chose. Je suis coupable.
Le visage ne s'enfouit pas, il lui fallait guetter. Si -W était à la hauteur de sa réputation, alors il les écoutait. Les murs n'étaient pas épais, les oreilles traînaient facilement, qui plus est à Greengrass depuis le décès de Garrett Hobbs-Jenkins. Garrett à qui il avait souhaité la bonne santé en trinquant avec lui à peine quelques secondes avant qu'il ne succombe. Il était la dernière personne à lui avoir parlé. Celui qui aurait pu agir, s'il avait eu la présence d'esprit de lui arracher ce verre, de le renverser. Il aurait pu faire quelque chose. Aurait dû, et n'avait rien fait. Les genoux compressèrent la cage thoracique et l'univers rétrécit de moitié autour de lui. La toile de son pantalon blesserait ses mains plus que ses ongles. Si Riley avait pu comprendre le yupik, le russe, ils auraient pu s'assurer une sécurité enviable par des temps si sauvages. Mais c'était improbable.
Toujours différent, avec lui.

- Ta famille... Ta f-f-famille va bien ?

Il faut que je sache. S'il reste quelque chose, si les racines ne sont pas arrachées. Il fallait qu'il sache. L'instinct le lui demandait.

Son instinct lui disait de se rapprocher de Tyee, être en face de lui n'était pas suffisant. Mue par ce besoin qui n'était pas des plus rationnel, Riley pris sa chaise pour la placer à côté de celle de cet homme qu'il voyait comme le bien incarné, car il le savait incapable de faire du mal à quiconque sur terre de façon délibéré. Mais il est un geste que Riley ne se croyait pas capable et dont il fut surpris lui même. Une fois qu'il s'était ré-installé dans sa chaise, il plaça sa main sur l'avant bras de Tyee. Ce n'était en aucune façon une agression, ni un envahissement de son espace personnel, non par ce simple geste le pompier voulait seulement essayer de le réconforter, ou alors lui faire comprendre qu'il pouvait parler en toute sécurité, qu'il ne trahirait pas ses secrets.
Riley lui même avait du mal à comprendre son geste, surtout qu'il n'était pas la personne la plus tactile du monde, mais voir Tyee dans cet état ne lui plaisait pas des masses.

Mais surtout c'était cette entrée en matière à propos des messages et de -W qui l'avait poussé à se rapprocher de Tyee, comme si cette soudaine proximité pouvait les tenir éloigné de -W et toute cette méchanceté. De toute cette cruauté qui régnait dans ce monde.
Parce que oui, il n'était plus possible de se voiler la face, il n'était plus possible de vivre dans un monde de bisounours. Le terre ne tournait pas rond. Tous les jours les journaux rapportés des nouveaux crimes, de nouveaux viols, alors comment s'étonnait que des personnes puissent prendre plaisir à torturer les autres quand on savait que c'était monnaie courant dans certains pays pour faire parler les hommes et les femmes. Cependant, il y avait encore des choses à converser dans ce bas monde, tel que l'innocence de nos enfants, ou alors l'amour. Parce que oui Riley était un indécrottable romantique.
Mais malgré tout ces beaux discours, toutes ces belles pensées, le pompier n'était pas vraiment étonné de la remarque concernant -W, comme quoi ils seraient plusieurs. Après tout pour avoir un champs d'investigation aussi large, une seule personne n'était pas suffisante...malheureusement encore des personnes trouvaient le bonheur dans le malheur des autres.

“Je ne suis pas aussi sur que toi, mais c'est gentil. Merci”

Forcément le sujet -W amenait à beaucoup de question. Des questions, mais est ce que les réponses viendraient elles aussi ? Et surtout seraient-elles sincères et honnête. Ceci dit, maintenant que le sujet avait été engagé, il n'y avait plus aucune raison de mentir, sauf la peur de -W, mais que pouvait-il bien faire contre les deux hommes. Ils étaient seuls au milieu des bois. Donc si quelque chose sortait de cette maison, alors le coupable serait tout désigné, mais ce n'était pas ce qui effrayait Riley. Non étrangement, sans même le connaitre vraiment, il faisait confiance à Tyee. Surtout que ce dernier le voyait bien plus gentil qu'il ne l'était vraiment. Dans son passé, il avait fait pas mal de bêtise, mais le fait que Tyee puisse dire qu'il ne méritait rien de tout ça le touchait plus qu'il n'aurait pu le croire. Il ne pensait pas méritait autant de compassion, par après tout ce qu'il avait fait du moins.

“Ma famille ? Je...mon frère est mort il y a longtemps. Et mes parents vont bien, ils s'inquiètent comme tous parents dans ce monde.”

La perte de son frère était une blessure que Riley n'avait jamais su fermer, et peut être qu'il ne le voulait pas. Cette blessure au moins lui permettait de rester sur le bon chemin, de pouvoir regarder en arrière et pouvoir se dire que tout n'était pas si noir. Quant à ses parents, c'était un peu plus compliqué. Ils les avaient toutes les semaines au téléphone et sa mère ne cessait de lui demander quand est ce qu'il reviendrait à Chicago. Sauf que ce n'était pas envisageable, du moins plus maintenant. Alors pour lui donnait un semblant d'explication à ses réponses négatives, il lui avait parler de Sasha, comme quoi il avait enfin trouvé quelqu'un, et qu'il voulait construire quelque chose. C'était un mensonge, mais pas tout à faire parce que Riley savait qu'il finirait sa vie avec la petite brune. Alors sa mère lui avait juste souhaité beaucoup de bonheur et lui rappelait combien elle l'aimait. Lui aussi aimait ses parents, plus qu'ils ne l'imaginaient.

“Ou cela va t-il nous mener Tyee ?”

Riley entendait bien sur par là, s'il allait l'un et l'autre avouer leur plus sombre secret.

Loss'Nîn.

Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens. — Vincent Van Gogh.

Comme tous les parents.
Oui.

Un silence éloquent, et un regard des plus abattus. Il avait horreur de cela. Horreur de ça. Des autres, alors qu'il devrait parler. C'est comme cela qu'on fait. Tisser des liens. Soupirer. Tisser des liens, entre les arbres et lui, sans aucune difficulté, et entendre sa mère lui demander de rentrer. D'aller jouer avec les autres enfants. Qu'à cela ne tienne, mieux que des enfants, il y avait des arbres. Des sommets qu'il voyait se rapprocher, à mesure que le temps passait. Plus il passait plus ils venaient à lui, et plus ils venaient à lui plus il se sentait hors du monde. De ce monde d'autres. Avec les autres, il avait froid. Avec les arbres, il se sentait grand.
Une profonde agressivité, qu'il ne sut comment gérer. Quelque chose, au plus profond de lui, comme un poids énorme sur le sternum, la cage thoracique. Rien que l'empêche de respirer, rien d'agréable. Pas une seconde. Et il se haït. Il se haït comme ils se haïrent, avant. Avant tout ça. Les larmes glissèrent de ses yeux sans un bruit. À peine un gémissement. Sa main sur son bras et son poignet capturé par sa main libre. Il n'aurait pas dû s'approcher autant. Il n'aurait pas dû le toucher. Il ne pourrait plus le lâcher. Pas un instant.

Le gris de ses yeux contre leur mains complices alors qu'il s'en emparait davantage. Le sentir contre lui. Près de lui. Il avait horreur de ça. Des autres, et de la haine. Revoyait nombre d'atrocités qu'il aurait aimé pouvoir effacer de sa mémoire à jamais, comme l'ablation de tout ce qui est gênant dans une vie. Là-bas, pour régler les conflits, on ne se battait pas. On organisait des sortes de joutes verbales, publiques, et les rires des spectateurs face à la colère crachée des participants servaient de juges. Il n'y avait jamais participé, parce qu'il ne disait jamais rien. Il n'était jamais là, il était avec les arbres, les cerfs, la neige. Les ours, dans le pire des cas.
Les ours, et il eut mal au crâne. Ses larmes n'avaient de cesse de couler, et il n'avait aucune idée de s'y pourrait s'arrêter rapidement. Aurait voulu pouvoir s'excuser décemment. S'excuser avec la voix. Riley ne comprendrait pas, il ne comprendrait sans doute jamais, et habituellement cela n'aurait pas été grave, rien n'était grave tant que cela n'impliquait pas de témoin trop proche. Mais là, là, il le touchait. Deux mains ensemble, deux mains qu'il ne séparerait pas maintenant. Que Riley ne brusquerait pas non plus. Il était là pour la sentir, cette main sur la sienne. Il était venu la chercher parce qu'on fond de lui il savait, tout comme Tyee savait. Ils savaient tous les deux que c'était nécessaire. Quelque part.
Sans doute, oui. Oui.

Le silence. Il avait horreur de ça. De ce silence-là, celui de la gêne. Celui de la honte, du secret. Toujours les mêmes douleurs, la gorge, le crâne. La même tranchée contre sa tempe, la même, et il hésita à y porter deux doigts, y renonça. Riley. Riley avait besoin de lui, et il faisait piètre figure. Jamais là pour les autres. Pas quand ils en ont besoin. Il ravala sa plainte, rumina son malaise un temps, laissant ses phalanges glisser contre le revers de l'intruse, calme. Bien moins fragile que lui, pas plus rassurée. Ce n'était pas étonnant. Riley n'était pas quelqu'un de mauvais. Voilà.
Rien d'autre que le silence autour d'eux. L'épaule retirant l'excès d'eau sur ses joues, sur son nez, en se frottant contre le visage abîmé. Et le silence.
Il n'en avait été que trop question, et son visage fondit sur le sien comme la chasseur sur la proie aimée. Ses lèvres cueillirent un baiser à peine tiède, tout juste déposé, effacé aussitôt. C'est comme cela qu'ils faisaient, là-bas. C'était ainsi qu'ils avaient l'habitude de faire avant. Avant qu'il ne parte.

- Mon aïeule n'est plus d-d-de ce monde. Je l'ai appris en y r-retournant. Là-bas.

Avant qu'elle ne parte, comme l'aurait fait un père. Un frère.
Un baiser pour tout, parce qu'il n'avait pas de symbolique mais de la valeur. Bien plus de valeur que de symboles. Un baiser fugace en gage d'attention, d'affection. L'effluve d'un geste simple, tendre, désintéressé. Il aurait été malade d'un tel mouvement s'il n'avait pas été assommé de médicaments, assommé d'une bière, assommé du deuil. Ce n'était rien, en soi. Il n'avait pas à en souffrir. Lieb lui avait demandé de ne pas pleurer les morts, des centaines de fois, et il n'avait pu se dépêtrer de la boue de la tristesse chaque fois qu'un des chiens retournait auprès des Esprits, qu'un arbre souffrait, qu'un homme rendait la vie qu'il avait emprunté. Parce que physiquement, ils n'allaient plus être là. Comme Riley. Comme lui. Alors il pleurait.
La main sur son visage, à distance raisonnable. Il le prendrait comme il le voulait, il n'avait pas idée de se défendre de quoi que ce soit. Pas maintenant. Et il avait honte, honte de se savoir encore empli de cette haine au point de souhaiter la mort. De la souhaiter de tout son cœur.

- Nulle part, si c'est ta d-décision. Personne ne vous contrôle, et tu as le c-choix. Toujours.

Un murmure, parce qu'ils étaient assez proches pour s'entendre, quelque soit le débit, quelque soit l'intensité. Son oreille lui appartenait comme il appartiendrait à sa voix, peu importait bien son désir. Un murmure qui reprit des saveurs de Béring, de son sein si discret. De son immaculé tant irréel qu'il en devenait sacré. Un accent qui remontait dans sa gorge, presque douloureux, ses bégaiements effacés, un instant. Il peina à faire entendre son anglais, mais il se faisait violence. Pour Riley.

- Tu peux dormir, seulement. Ne venir q-que pour cela. Il paraît que les autres dorment bien, chez moi. Ils oublient l-le monde.

Un havre hors du temps, hors du monde, qui n'obéissait qu'aux règles de son maître. Un maître que n'était pas exigeant. Son maigre sourire s'effaça lorsqu'il lâcha son regard pour venir essuyer ses cils avec son épaule. Puis il s'échoua doucement contre l'oreille de son hôte et sa voix se fit soupir inaudible pour tout autre qu'eux. Étreinte timide et réconfortante, silencieuse ou presque, douloureuse mais nécessaire. Ils le savaient. Il avait peur, lui aussi. Ils étaient des hommes, et ils avaient peur. Tous les deux. Il voulut croire en un mieux, parce qu'il refusait de s'abandonner au désespoir. L'omniscient est redoutable, mais le muet sert les intérêts de ceux qui doivent se protéger. Il le savait, Riley se devait de l'apprendre. En-dehors du monde, à l'abri. Rares sont ceux à comprendre le silence des muets. Et -W ne peut que deviner ce que l'on prononce à peine.

Dans certaine situation, le silence était bien plus éloquent que la plupart des paroles de réconfort qu'on pouvait dire. Surtout dans le cas de la perte d'un proche. Tyee avait perdu quelqu'un de sa famille en retournant au pays, et cette douleur n'était pas inconnu à Riley. Les réactions ne sont jamais les même d'un individu à l'autre face à la mort.
Alors plutôt que de sortir des platitudes sans noms du genre “avec le temps on fini par s'habituer à la douleur” ou encore “tu ne pouvais rien faire de toute façon” le pompier préférait ne rien dire et compatir en silence. Lui même quand il avait perdu son frère n'avait envie de parler à personne. Il avait trouvé un exutoire à sa colère, mais ce n'était pas la parole.
Et surtout le brun avait l'impression que les silences prolongés n'était pas dérangeant dans cette atmosphère. Certain pouvait être pesant, mais pas ici, comme si par les simples gestes tout était déjà dit et qu'ils se comprenaient parfaitement.

“Personne ne nous contrôle et pourtant j'ai l'impression d'être une marionnette.”

Tout les habitants de cette petite ville de Georgie étaient des pantins entre les mains de -W et il agitait ses fils à sa guise pour les faire danser et surtout pour leur faire peur. Son plus grand succès étant de réussir à monter les habitants les uns contres les autres. Parce que maintenant tout le monde se méfier, tout le monde pensait que son voisin pouvait être un tueur en série, un menteur de la pire espèce ou peut être même -W en personne. La suspicion transpirait par tous les pores des gens.
Heureusement qu'il existait encore des gens comme Tyee, ou même Riley qui arrivait encore à faire confiance, ou alors à trouver de la bonté chez les autres.

“Oublier le monde n'est peut être pas la bonne solution à long terme. Mais merci de la proposition”

Et pourtant, Riley n'était-il pas venu justement pour cette raison ? Pouvoir échapper au monde extérieur et à ses horreurs ? S'il le pompier était honnête avec lui même c'était exactement pour ça qu'il s'était présenté chez Tyee avec une excuse bidon pour pouvoir entrer. Mais maintenant qu'on lui proposait concrètement d'échapper au monde il n'en avait plus envie. Pas que la compagnie de l'homme en face de lui le dérangeait, bien au contraire, il se sentait tellement apaiser et serein à ses côtés, comme s'il se trouvait dans une bulle ou rien ne pouvait lui arriver, protéger par la magie de la forêt et l'aura mystique de cet homme des bois. Seulement, il devait faire face à ses démons, faire face à son passé et essayer d'avance envers et contre tout et restait ici n'était pas la meilleure solution. Et pourtant ce n'était pas l'envie qui manquait. Après tout est ce que cela lui ferait vraiment du mal d’échapper à tout ça une nuit durant ? Non certainement pas et puis peut être que cela aurait un effet relaxant sur lui et qu'il y verrait plus clair. Peut être qu'une nuit ici l'aiderait à prendre du recul à tout ce qui passé à Lakeview et trouver une solution comme une autre pour sortir de ce bourbier.
Mais même ça il n'arrivait pas à l'envisager. A croire que la dernière intrusion de -W chez lui l'avait vidé de toute ses forces et son courage. Et pour un pompier manquait de courage était quand même le comble. Il n'avait surtout pas l'envie de se battre contre un fantôme, parce qu'à l'heure actuelle il ne pouvait rien contre ce -W. Il n'avait pas ne serait ce que le début d'une piste pour trouver son identité ou ses motivations.

“Que t'as fais -W Tyee ? De quoi as tu peur ? Puisque nous sommes à l'abri, on peux en parler si tu le souhaites.”

Riley ne faisait pas ça pour satisfaire sa curiosité, loin de là et il était même prêt à se livrer lui même si cela était nécessaire, mais le pompier avait envie d'aider Tyee, et si cela passait par un échange de secret soit, il le ferait.

Loss'Nîn.

Tant qu'un homme n'a pas découvert quelque chose pour lequel il serait prêt à mourir, il n'est pas à même de vivre. — Martin Luther King.

Ce qu'il m'a fait ?
Mais rien.

C'est moi qui suis maître de ma vie. C'est moi qui ait pris les décisions qui m'ont mené jusqu'ici, jusqu'à Lakeview, jusqu'à -W et jusqu'à toi Riley. C'est à moi que je dois tout cela, et -W ne fait que me le rappeler. Que tout cela est de mon cru. Que cette vie qui est la mienne, c'est moi qui l'ai taillé. Moi qui sais si bien tailler le bois, tailler l'esprit des autres, le teinter de mes fables et de mes élucubrations sans fin, mes peines et mes déboires, mes horreurs et mes joies, ma faiblesse et la force de mes mots. Tout ce que l'on m'envie. On m'envie, on me jalouse, on me blesse délibérément. Mais c'est de ma faute. C'est moi qui me suis construit ainsi. C'est à moi que je dois tout cela. -W n'est qu'un détail, le cadet de mes soucis. -W, ce n'est qu'un groupuscule armé de téléphones et d'acide prêts à me le jeter au visage pendant mon sommeil pour retirer des bras du monde l'être infâme que je suis. Cela ferait une ordure de moins en ces lieux. Une ordure de moins.
Il n'y a pas que le Dieu des chrétiens qui est jaloux. Il aurait fait l'homme à son image.

- Il a acheté ma vie à celui qui veut ma mort.

Étrange assurance. Fort peu commune, et sa voix perdit immédiatement de son timbre puissant et grave au profit de sa gêne habituelle. Le front dans sa nuque et leur peau l'une contre l'autre, parce qu'il en avait besoin et il espérait que Riley aussi puisse en avoir besoin. Il était bien incapable de réfléchir à quoi que ce soit maintenant qu'il y avait repensé. Ce qui le dévorait était bien plus virulent que n'importe quelle maladie, n'importe quelle contagion malsaine qui garderait l'air de cette place d'une quelconque sécurité. Son silence aggravait son agonie et le souvenir de ses couleuvres l'achevait, comme un cauchemar qu'il se remémorait sans cesse pour se flageller, toujours plus. Il n'avait rien soutenu, ses yeux parlaient à sa place. Une trinité de mots, ajustée avec précision à ses tympans, gracieusement articulée, d'une joliesse sans pareille.
Tu as merdé.
Et voilà.

- Il... Il ne l'a p-pas dit, pas c-c-comme ça.

Il espérait ne pas tremper le tissu qui couvrait les épaules du jeune homme avec ses larmes, s'excusait par avance dans un mutisme religieux. Un mutisme qui lui rappelait de vieilles obligations, qui intimait de nouveaux sanglots. Et il se sentit honteux.

- Je... J-J'ai honte de plaider en défaveur de l-l-la p-peine de mort Riley, parce qu'au f-fond de moi, je la souhaite. Je l'espère. J'espère la m-m-mort d'autrui.

Il avait mal à la gorge. Pathétique. Personne n'aurait pu vendre sa vie aussi précisément que lui, parce que personne, personne en ce monde n'était au courant. Sa vie n'impliquait que lui et une autre planète, une planète faite de neige et où l'on vit au jour le jour, où l'on chasse et où l'on pêche son repas avant de le faire cuire, un endroit où l'on ne parle pas la même langue et où personne ne peut se faire comprendre de ces gens là. Personne, sauf deux membres du clan. Deux anciens membres. Et si l'un ne pouvait rien dire, il ne restait qu'une solution.
-W n'était pas au courant de tout. -W ne pouvait pas tout savoir. Parce qu'il y avait des choses qu'il était seul à connaître. Seul responsable de sa vie, seul responsable de sa peine. Garde tout et garde-le loin d'ici. Il n'avait pas choisi cette solitude pour rien. Et Riley était venu le trouver. Il ne sut s'il était réellement pertinent de poursuivre. Quelque part, il s'en moquait bien. Il avait déjà merdé.

- N-Ne... Ne m-me dis pas que t-t-tu souffres toi aussi à c-ce point. S'il te plait.

Riley ne comprenait pas comment on pouvait acheter la vie de quelqu'un et encore moins comment une personne pouvait vouloir faire souffrir Tyee au point de vouloir le tuer. Enfin le pompier n'avait jamais rencontré une personne qui incarnée autant la douceur et la gentillesse. D'accord il avait peut être choisi un mode de vie conventionnel du point de vue de tout les gens de cette ville, mais ce n'était pas une raison pour lui vouloir du monde. Et puis s'il était heureux dans son bois, avec la compagnie des animaux ? Animaux qui par bien des égards étaient de meilleure compagnie que les hommes. Au moins eux ne vous jugeait pas et être avec eux était des plus reposant.
Alors peut être que c'était Tyee qui avait tout compris en vivant comme il le faisait, en vivant à l'écart du monde et de ses horreurs. Mais malheureusement la réalité et la méchanceté des autres avaient réussi à le rattraper lui aussi.

“-W ne dit jamais clairement les choses. Et n'ai pas honte, on a tous souhaité la mort de quelqu'un...”

Les méthodes n'étaient pas très orthodoxes. Riley diraient même qu'elles étaient lâches. Enfin quoi le gars – si c'était bien un mec – se contentait d'envoyer des messages sur votre téléphone pour vous menacer de raconter vos plus sombres secrets à tout le monde si vous faites pas ce qu'il veux. Ou alors il entre carrément pas effraction – même s'il ne laisse aucune trace – chez vous pour vous laisser d'autre message toujours aussi sibyllin. Et jamais au grand jamais il ne dévoilait son identité pour ne pas avoir de représailles. C'était trop facile de faire ça.

Par contre la peine de mort était un sujet plutôt sensible !! Pour dire vrai Riley n'était ni pour, ni contre. Dans certains cas il était certain que c'était la meilleure chose à faire plutôt que de laisser des pédophiles ou violeurs pouvoir ressortir après seulement quelques années de prisons. Après est ce que les hommes pouvaient avoir droit de vie ou de morts sur les autres, c'était très compliqué à dire.
Ceci dit, la seule fois où le pompier avait voulu tuer quelqu'un, avait été le jour de la mort de son frère. Cet enfoiré de chauffard qui l'avais renversé et qui avait pris la fuite, laissant Riley seul avec lui même.

“Non je ne souffre pas autant. Du moins plus maintenant”

Parce que oui la souffrance avait été sa plus grand compagne pendant de longue année suite à la mort de son frère. Quand il avait vu son frère étendu sur le bitume et qu'il avait compris que c'était fini, que jamais plus il n'aurait l'occasion de voir son frère grandir et s'épanouir, quelque chose en Riley s'était cassé. La douleur avait été telle qu'elle l'avait balayé en un instant. Quand les pompiers étaient arrivé sur place, il était en état de choc et l'un d'eux avait d'ailleurs pensé qu'il avait complétement perdu les pédales parce qu'il ne réagissait à rien, ni aux questions qu'on lui posait, ni aux claques qu'on lui maintenant dans l'espoir d'avoir une réaction. Ne pouvant rien faire de plus, ils l'avaient emmené dans le camion avec son frère.
Ce n'était qu'au moment de l'enterrement que la réaction tant attendue par ses parents avaient eu lieu. Il avait crié et s'était accroché au cercueil de son frère. Toute la famille avait été choqué de le voir ainsi, mais c'était sa façon de s'exprimer. Et ensuite ce fut la chute aux enfers. Riley avait certes repris une vie qui semblait normal pour ses parents, mais il ne savait pas qu'il avait emprunté la mauvaise route. Heureusement que son petite frère veillait sur lui pour le sortir de là, et qu'il avait le soutien d'Alexa et de ses parents. Sans eux, il serait surement à l'heure actuelle mort d'une overdose ou alors tout simplement à la rue.

“La mort de mon frère a été ma plus grande souffrance, et qu'importe que -W connaisse mon passé, il ne pourra pas me faire ressentir la même souffrance.”

Même si -W pouvait le séparer de Sasha, même s'il pouvait l'éloigner de tout les gens qui lui étaient proche, jamais la douleur ne serait comparable à celle de son frère et il savait qu'il pourrait s'en relevait. Quitte à faire son lâche et partir de la ville. Mais c'était une chose à laquelle il n'arrivait pas à se résoudre de faire, parce que malgré tout il aimait cette petite ville de Lakeview.

“Je me demande comment il arrive à avoir toutes ces informations sur nous”

C'était une question que Riley se posait constamment depuis que -W s'était présenté à lui. Enfin il devait forcément avoir des personnes qui parlaient, ou alors il avait accès à certains dossier. Cependant le brun préférait croire que personne dans son entourage n'était assez stupide pour parler de tout cela.