Il y avait des jours tel que celui-là, où on se sentait merdique des pieds jusqu'au sommet du crâne. On les appelait les "jours sans". Le fait de tenter d'écrire alors qu'on se trouvait en plein dans un "jour sans" n'était pas une très bonne idée, pour la simple et bonne raison que l'écrit pouvait finir dans un état aussi merdique que la journée, ou bien l'envie d'écrire pouvait également s'évanouir dans le néant absolu. Chanceux comme je l'étais, j'avais l'habitude de m'attirer le spectre du "jour sans", surtout ces temps-ci. Je n'étais pas installé à Lakeview depuis encore assez longtemps pour me sentir chez moi et avoir l'âme de la rédaction facile à domicile. J'avais pour ainsi dire encore besoin de pas mal de temps pour y parvenir. C'était tout nouveau pour moi cette idée de me poser de nouveau dans une ville, surtout après tout ce qui m'était arrivé et qui m'avait conduit à l'exil international.

Enfin bref, plutôt que de continuer de me lamenter et de raconter mes déboires d'écrivain, passons à ce jour qui n'est autre que aujourd'hui. Le soleil s'était levé dans le ciel de bonne humeur, avec aucune goutte de pluie à l'horizon, ce qui était une bien belle délivrance. La température externe était un peu fraîche par moment, à cause du vent, mais cette fraîcheur n'était pas une peine insupportable. On pouvait aisément dire qu'on avait connu pire. Pour tenter de retrouver mon inspiration, j'avais pris la décision de sortir à l'extérieur afin de me rendre au parc et retrouver mon arbre, le fameux arbre non loin des jeux pour enfants. Je voyais ainsi l'innocence s'agiter sous mes yeux. L'enfance sous cette vue me faisait souvent beaucoup de bien. J'aimais les enfants, les regarder jouer et s'agiter en souriant. C'était souvent cette innocence qui me redonnait envie d'écrire.

Fixé à mon arbre, mon grand carnet ouvert, les lignes commençaient peu à peu à prendre forme. Je ne pouvais pas encore prédire à quoi elles allaient ressembler, mais c'était un geste plutôt encourageant pour la suite des événements. C'était un "jour sans" mais qui allait sans doute connaître une fin meilleure, du moins je l'espérais.

© BOOGYLOU.

live the unexpected

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Kay! Descends de là, tu vas te faire mal!

L’enfant faisait le singe. Sur les branches, dans les arbres et ses feuillages. Il y avait une volonté de vivre dans son pouls qui lui faisait goûter la cime des arbres. Et qui donnait à chaque fois une fausse crise cardiaque à sa nounou.

Kayden mit pied à terre avec la fierté de l’enfant qu’il était. Il leva les bras dans les airs comme un acrobate à la fin de son numéro et Matthias souffla. Il mit les mains sur les hanches, soupir vers le sol, à perdre haleine par le stress et la course qu’il s’était tapé pour rejoindre le gamin jusqu’à l’arbre où il s’était haut perché. Haleine courte, le livreur de pizzas dit tout simplement :

Tu me fais plus jamais ça quand c’est moi qui est en charge de toi! T’imagine ta mère comment elle nous engueulerait si je te ramenais avec une patte cassée!

Kayden rit. Matthias rit. À travers l’essoufflement. Puis d’un geste de la main, il proposa de vif conseil au jeunot à aller dans les modules de jeux non loin faire connaissance avec les autres enfants. Après tout, il ne l’avait pas amener au parc que pour le pourchasser dans les nids à tire d’ailes.  C’était rare qu’il parcourait ce parc. Soyons franc, c’était la deuxième fois de sa vie qu’il y venait. La première fois eut été cinq ans plus tôt pour ramasser un ami la seringue au bras à deux heures trente cinq du matin. Le souvenir s’y découlant n’était pas joyeux, mais Kayden lui en bâtissait de tout nouveaux bien meilleurs : comme il aimait ce garçon! Un vrai trésor! Une vraie joie de vivre! Un souffle merveilleux pour Matthias qui n’en avait plus beaucoup…

Il toussa, justement, à s’en époumoner trois bronches plutôt que deux. S’égorgea péniblement et cracha ce qu’on aurait put croire un charmant coulis de sang et de bave sur l’herbe à un mètre de lui. Et cette chorégraphie n’aurait été complète sans qu’il ne sorte de sa poche une cigarette et un briquet dans l’idée de s’allumer la boucane à la lèvre. Son pas nonchalant le conduisit à un arbre confortable à l’ombre où se trouvait déjà un homme. Kayden, qui se dirigeait vers les autres enfants, l’interrompit dans son geste, se retourna vers Matthias et lui lança :

Maman dit que c’est pas bon de fumer!

Matthias roula des yeux et chopa d’entre son index et son majeur la cigarette de sa bouche pour rétorquer à l’enfant :

Ta maman dit aussi que c’est pas bon de manger des beignes. Est-ce qu’on va s’en priver? L’enfant fit visage d’horreur et hocha négativement de la tête en toute réponse. Bon bah va te faire des amis, petits singe.

Et s’exécuta au pas de course le gamin souriant à nouveau. Et Matthias retourna à son activité : soit allumer la cigarette qu,il replaça dans sa bouche.

Je te dis… Ces gamins vont finir par nous tuer, mais c’est eux qui nous font vivre. Ça, je te l’assure, il dit tout bas à l’intention de l’inconnu non loin de lui, un sourire sur le bord de sa lèvre.

Cet inconnu qu’il regarda en crachant un jet de fumer dans la direction inverse à ses prunelles noisette. C’était un chétif jeune homme, à lunettes – «genre intello» pensa Matthias – un carnet et un crayon à la main. Il prenait des notes en vérifiant les enfants comme s’il enquêtait sur la disparition de la sucette de sa petite nièce, semblait-il au frisé.

Tu écris un truc? demanda Matthias sans gêne et sans grand respect au travail de l’étranger.

Mais il était curieux, c’est tout.