Christopher & Daryl

La journée avait très mal commencée. Une latte du lit avait cassée pendant que je dormais, me réveillant en sursaut à 8h du matin, ce qui était bien trop tôt pour moi.  Ces fichus cauchemars allaient avoir ma peau. D’abord, ils attaquaient mon moral, puis mon sommeil et maintenant mes meubles. C’est en trainant les pieds que je m’étais levé pour me rendre compte que je n’avais plus de lait dans le frigo. Avec un air dégouté et blasé, j’avais attrapé le paquet de céréale, ne prenant même pas la peine de prendre un bol. C’était en jogging que j’étais descendu vers le garage pour saluer mes fidèles motos. Tant qu’à avoir une journée bien pourrie, je décidais de faire les choses bien et lâchais par erreur le paquet de céréale dans les escaliers. Râlant comme un camionneur qui a perdu son camion dans un parking, je m’assis quelques secondes à côté de ma belle moto de collection. Cette moto était presque unique puisque seulement quelques une avaient été mises sur le marché.

Me levant, je percutais la boite à outil, m’arrachant le petit orteil par la même occasion. C’était la preuve vivante que Dieu n’existant pas. Pourquoi est-ce que je disais cela ? Parce que s’il existant, il n’aurait pas créé le petit orteil, partie corporelle juste destinée à la torture. C’était comme si ce doigt de pied avait un radar intégré qui se dirigeait vers tous les coins de meubles, objet en métal et autres conneries qu’on posait au sol et se dépêchait d’oublier avant qu’une douleur fulgurante nous rappelle sa présence. Jetant un regard noir a la boite à outil puis à mon orteil, je remontais en trainant la jambe vers l’étage. C’était lors de journée comme celle-ci que je me disais que je ferais mieux de retourner au lit. Regardant rapidement mon calendrier, je me rendis compte que rien n’empêchait cela puisque je n’avais aucun rendez-vous avec des clients aujourd’hui. Je venais à peine de m’installer en ville et il était vrai que la clientèle se faisait encore rare. Je n’allais pas m’en plaindre, je faisais de la mécanique pour qu’on me laisse tranquille mais en réalité j’avais assez pour remplir mon frigo chaque mois. Haussant les épaules et poussant un long soupir, je décidais de rendre les armes et de repartir au lit. M’allongeant dans mon lit, j’attrapais une revue de moto pendant à comment je pourrais améliorer quelques-uns de mes bébés.  Rien n’était assez beau pour elles. Oui vous ne rêvez pas, je parle bien de moto et pas de femmes, il y a des priorités dans la vie quand même !

Alors que je commençais à m’endormir,  j’entendis la sonnette en bas. Lançant une nouvelle flopée de jurons, je me levais, enfilais un pantalon large, un sweat à capuche et mon téléphone portable. Je me rendis compte quelques secondes plus tard que j’avais également attrapé mon couteau que j’avais enfilé à la ceinture. C’était un vieux réflexe qui avait la vie dure. Je savais que cette ville était sure et que je ne risquais pas de me faire attaquer dans mon garage mais je ne me sentais pas en sécurité si je ne l’avais pas à la ceinture. Le fait que les autres le vois, je ne genais absolument pas. Descendant les escaliers, j’ouvrais la porte en fer qui fermait l’intérieur du garage pour découvrir un visage qui m’était très familier et très douloureux. L’homme que j’avais en face de moi s’appelait Christopher Holden. Jamais je ne pourrais oublier son nom, ce n’était simplement pas possible ni imaginable. Il était bien habillé et n’avait pas l’air des gens que je fréquentais d’habitude. Alors  comment était-ce possible que je le connaisse ? La réponse était simple : j’avais tué sa femme et sa fille.

Christopher Holden se réveilla ce matin-là en exigeant sa dose quotidienne de café, mais ne souhaitant pas boire son délicieux nectar dans la solitude de sa grande résidence de Lakeview, l’homme décida de sortir sa camionnette et d’aller directement en ville. On ne pouvait dire que la richesse l’avait rendu plus heureux. Depuis qu’il était riche à craquer, l’homme se faisait constamment harceler – plus particulièrement lorsqu’il vivait encore au Québec – il avait perdu les deux femmes de sa vie lors d’un braquage qui avait bien mal tourné et aujourd’hui, le riche québécois avait tout, tout sauf l’amour d’une famille. Perdu et surtout inconfortable dans cette horrible tourmente, l’homme tentait de vivre et de guérir, ce qui ne semblait guère être facile. Pour oublier, la seule solution que Holden se trouva, c’était de boire la majorité du temps. Enfin, le matin l’amenait à changer ses habitudes jusqu’à l’heure du diner, ce qui ne devait pas tarder, mais par chance, il fit la rencontre de deux ou trois personnages sympas dans un petit café convivial de Lakeview. C’est en repartant qu’il entendit un étrange bruit provenant du moteur. Après une brève inspection, il conclut rapidement qu’un garage trouverait la réponse à son souci. Un petit détour dans ce petit restaurant lui servit à obtenir l’adresse d’un nouveau petit garage pas très loin qui venait justement d’ouvrir. L’homme faisait de la mécanique dans sa propre résidence, alors pourquoi pas. Jaymes n’était certainement pas le genre d’homme à repousser la basse population et tant qu’à avoir du fric, il allait faire tourner l’économie. Le voyagement fut difficile sachant que la camionnette pourtant neuve de l’ancien comptable faisait des siennes, mais il trouva par chance la résidence du quartier Screwdriver de la ville. Il s’arrêta et sonna à la porte. Lorsqu’on vint lui répondre, Chris borda un bref sourire à son visage. « B’jour men… j’suis pas mal dans marde en c’moment.. mon camion fait un esti d’bruit… et on m’a conseillé de passer vous voir. » Il serra les dents attendant une réponse.

Christopher & Daryl

Je devais halluciner ce n’était pas possible autrement. Comment ce gars qui vivait avant au Québec pouvait se retrouver ici et encore plus, comment pouvait-il être devant moi. J’essayais d’effacer l’horreur et la surprise de mon visage mais cela était tout simplement impossible. Lorsqu’il commença à parler j’eu vraiment la confirmation que c’était lui. Posant un bras contre le mur, je me retenais. Je décidais de me concentrer sur autre chose. Il ne devait pas voir mon malaise, il ne devait pas le ressentir. Pourtant je n’arrivais pas à le regarder dans les yeux, c’était totalement impossible. Tournant la tête vers le camion, je fis un hochement de tête dans la direction de Christopher. M’approchant de la bête, je décidais de me concentrer sur une des choses que je savais faire le mieux : faire de la mécanique.

Le camion avait l’air neuf. Ce n’était pas comme les vieilles épaves qu’on m’amenait des fois depuis que j’étais installé ici. En même temps, les habitants de cette rue n’étaient pas vraiment riches alors que Christopher l’était de toute évidence toujours autant. J’étais étonné qu’on lui ait donné la direction de mon garage mais décidait de ne pas trop y penser. Ouvrant le capot, je jetais un coup d’œil. Je remarquais de suite que quelques pièces clochaient mais elles avaient pourtant l’air d’origine. Surement un problème technique ou une arnaque du constructeur, cela ne serait pas la première fois que je verrais cela aux USA. Revenant vers Christopher, j’allumais une cigarette. Le fixant quelques secondes, je lui fis signe de me suivre à l’intérieur du garage.

DARYL _ Quelques-unes de vos pièces sont totalement mortes mais je vais voir si je peux vous les avoir rapidement.

C’était la première fois que je devais commander des pièces pour une camionnette comme celle-là et je n’étais vraiment pas sûr de pouvoir les avoir avant un moment. Regardant le site internet du gars qui me fournissait, je vis que les pièces prendraient quelques jours à arriver. Attrapant mon téléphone portable, je téléphonais à un autre des gars mais il était occupé me disant qu’il me rappelait dans 30 minutes.

DARYL _ Les pièces ne sont pas disponibles. Je peux vous les commander, elles devraient être la dans 3 jours avec le premier fournisseur. En attendant je peux vous prêter un de mes camions si vous voulez. Ils sont vieux mais au moins, ceux-là, ils marchent bien. J’ai aussi essayé d’appeler un autre gars qui peut les avoir mais elles sont difficile à avoir, il rappellera dans une demi-heure. Je doute qu'il les aient plus vite mais on peut toujours essayer

J’essayais d’esquisser un sourire mais il n’était vraiment pas assuré.

DARYL _ Vous voulez boire quelque chose en attendant que le gars rappelle ou vous êtes pressé ? J’ai plus de café mais j’ai de la bière.

Il était plutôt tôt et j’étais sensé bosser mais après tout je m’en foutais pas mal si Christopher me trouvait incompétent et refusait de revenir dans mon garage. Mais ce que je voulais savoir, c’était s’il avait des doutes sur mon identité. J’avais bien caché mes traces à l’époque et les trois gars qui étaient partis en taule pour nous n’étaient pas prêts de sortir mais on ne savait jamais. Il fallait toujours garder un œil sur les dangers potentiels. N’attendant même pas une réponse de sa part, je me dirigeais vers le petit frigo qui était au fond de l’atelier et en sortis deux bières. Allumant le transistor, une musique country bien de Nashville commença.

En choisissant ce garage, Christopher ne se doutait surtout pas que l’individu qui réparait des voitures se trouvait être le même homme qui avait assassiné les deux femmes de sa vie sans scrupule, mais surtout qui avait envoyé des innocents en tôle à sa place. Pour le moment, au premier regard, Chris voyait bien un bad boy en cet homme, mais il s’en fichait. Il pourrait même devenir ami sans problème avec ce genre d’homme, n’ayant jamais été très difficile – bien que souvent, c’était sa personnalité qui faisait fuir les gens – enfin, en ce moment, l’homme souriait bêtement et écoutait l’homme. « Esti… ça fait chier en tabarnak ça… pourtant j’ai acheté c’te truck-là neuf…. M’a r’tourner voir c’t’esti d’enfant de chienne-là et j’va lui dire dans l’casse c’que je pense de son tas de marde ! » Dit-il en colère. L’argent n’était pas un souci pour le gagnant du loto, mais il trouvait ça frustrant de s’être fait arnaqué de la sorte. Christopher patienta un moment et lorsque le garagiste revint vers lui, un se gratta l’arrière de la tête. « Pas de prob mon gars… j’ai pas juste c’te truck-là. Au pire, j’appellerais un taxi pour m’amener chez nous après… pis j’aurais inc à rouler avec un autre de mes chars… t’es ben smath ! » Il opina en avançant vers la voiture. L’homme s’installa près de cette dernière et croisa les bras jusqu’à ce que l’inconnu lui propose une bière, parfait pensa-t-il. « Bah ça va faire l’affaire ! » Dit-il tout sourire. L’homme se contraignait à subir la solitude depuis la mort de sa famille et l’alcool faisait partie de ses plus grands amis. Il sautait sur l’occasion de boire une bonne bière lorsqu’il le pouvait. « Vous êtes du coin ? »

Christopher & Daryl

J’avais toujours autant de mal à comprendre ce qu’il essayait de dire avec son accent québécois qui ne pouvait pas se rater. C’était comme une marque de fabrique, malgré son anglais plutôt bon. Cela me faisait toujours avoir un sourire aux coins des lèvres. Les québécois étaient aux français ce que les canadiens étaient pour nous américains et pour avoir quelques amis en Europe et surtout en France, je savais qu’ils étaient souvent sujet à plaisanteries. M’asseyant, j’ouvris les deux bières et commençais à boire la mienne. Soupirant de soulagement, je me dis que c’était vraiment ce dont j’avais besoin actuellement pour faire passer le stress qui était en train de me bouffer les tripes. J’avais beau afficher un visage serein, ce n’était pas du tout le cas. Intérieurement, j’avais la même sensation que si j’étais en train de faire des grands huit sur des montagnes russes. Rien de bien agréable il fallait bien l’avouer.

Pourtant, Christopher était un homme sympathique et il serait même le genre de personne que j’appréciais avoir en ma compagnie, je pouvais le sentir. Mais le problème était la situation. Bien sûr, il était évident qu’il ne savait pas mais je me méfiais quand même. Et surtout, je culpabilisais. Je ne m’étais pas souvent senti coupable de ce que j’avais fait, disant que c’était une question de survie mais ce n’était pas le cas-là. Je faisais toujours des cauchemars la nuit sur cette journée-là. Je revoyais les réactions que cet acte avait provoquées. Pourtant, j’avais continué ma vie comme si de rien n’était.

Tendant ma bière à Christopher pour trinquer, il me demanda si j’étais du coin.

DARYL _ Non pas vraiment. Je cache bien mon accent du grand sud mais je suis de Nashville dans le Tennessee. Je suis venu ici pour changer de vie car la vie dans cette ville est plutôt dure. Au début je voyageais dans les USA mais j’ai finalement décidé de me poser ici et d’ouvrir mon garage. Cette ville n’est pas trop mal.

J’avais dit cette dernière phrase avec un sourire. C’était un peu ironique. Bien sûr Lakeview était une petite ville bien sympathique mais on en avait vite fait le tour et on s’ennuyait plutôt rapidement. Buvant une autre gorgée de la bière, je fis un signe de tête vers lui

DARYL _ Et vous ? Québec n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui vous a emmené à Lakeview ?

Bien sûr, je connaissais les réponses à mes questions mais on avait rien d’autre à faire que de papoter en attendant le coup de téléphone de l’autre garagiste pour les pièces moteurs.

Jamais Christopher n’aurait pu croire que l’individu face à lui se trouvait à être le meurtrier de sa famille. On ne pouvait guère croire que le monde était aussi petit. L’expression le disait bien, mais les chances qu’il croise le meurtrier de sa famille dans l’État de la Géorgie dans une petite ville banale comme Lakeview, le destin faisait bien mal les choses. Enfin, pour le moment, Holden ne savait pas pour Daryl et cela semblait mieux ainsi. Chris pouvait continuer à vivre – presque en paix – sachant que les supposés agresseurs de sa femme et sa fille pourrissaient derrière les barreaux. Jaymes fixait l’homme, voyant en lui un homme tout ce qu’il y avait de plus basique, surement un fana de la moto, qui aime bien prendre une petite bière et regarder le sport à la télé, rien à voir avec le meurtrier qu’il était. « Ah ! Nashville, j’connais ça ! » Dit-il en fredonnant une chanson country. L’homme avait déjà visité cette grande ville avec sa femme il y a bien des années. Les concours de danse en ligne et les bars western, c’était ce qu’il y avait de mieux. Après sa petite scène, allant même jusqu’à mimer la guitare, l’homme s’arrêta en souriant bêtement, prenant le temps d’écouter le parcours de l’homme jusqu’à Lakeview. C’était plutôt intéressant, il ajouta ainsi. « Ouais, c’t’un bon p’tit coin tranquille ça ! » Il opina et fixa la camionnette qu’il allait laisser là un moment, rageant intérieurement sur la qualité des produits d’aujourd’hui. Une fois sortie de la lune, il rappliqua aux autres questions que lui lancèrent le garagiste. « Comment t’a su ça mon gars ? L’accent… ouin j’aurais dû y penser ! Moé, j’suis arrivé icite parce … j’avais besoin d’un peu d’air, un esti de batard a tué ma bonne femme pis ma fille… et j’en pouvais plus de tous ses souvenirs. J’avais déjà une p’tite baraque dans l’coin où on v’nait souvent en vacances… fac, j’ai décidé d’y déménager ! Ça m’fait du bien … pour l’moment. » Avoua-t-il un peu confus face à son histoire.

Christopher & Daryl

Quand Christopher se mit à parler du meurtre de sa femme et de sa fille, mon visage se crispa. La main que j'avais le long de ma jambe se ferma en un poing tendu. J'essayais de me reprendre rapidement. J'espérais que si il avait remarqué l'émotion qui venait de me passer sur le visage il mettrait ça sur le compte de l'horreur de ce qu'il venait de dire et pas sur autre chose. Je me forçais à respirer lentement mais la pression que j'avais sur ma cage thoracique ne semblait pas vouloir partir. Pourtant Christopher ne semblait toujours pas présenter des signes agressifs ou même inquisiteurs. Il faisait seulement la conversation. Beaucoup d'écrivains se seraient régalés de la situation qui se déroulait ici. La victime qui se retrouve devant son bourreau comme un agneau devant un loup. Buvant un peu de ma bière j'essayais de m'enlever les images que j'avais en tête. Jamais je n'oublierais cette soirée la. Depuis mon arrivée dans les Hell's Angels, j'avais tué beaucoup de monde. La plupart était des criminels qui me mettaient en danger mais certaine fois il y avait eu des erreurs. J'avais donné mon âme pour ce club. Mon âme et certainement ma conscience. Pourtant jamais je n'oublierais le visage de la femme et de la fille de Christopher. J'aimerais faire pénitence en m'excusant auprès de cet homme que j'avais blessé à mort mais je savais très bien que je ne pouvais pas. Mon instinct de préservation était plus important que tout le reste. Buvant une nouvelle gorgée de ma bière, je me décidais finalement à me détendre et à parler

DARYL _ Je suis désolé de savoir ça. J'ai...

J'hésitais à parler. J'étais vraiment désolé pour Christopher et je me sentais coupable mais je ne savais pas si je pouvais lui révéler des éléments de ma vie personnelle. Pourtant je décidais d'abandonner ma prudence

DARYL _ J'ai une fille aussi. Je n'imagine pas ce par quoi vous avez du passer.

M'appuyant sur la table, je relevais mes manches. Soupirant, je secouais la tête

DARYL  _ Ils ont attrapés la personne qui a fait ça ?

Au fond, c'était une des choses que j'avais besoin de savoir. Est ce que Christopher pensait vraiment que les gars qui avaient tués sauvagement sa famille était ceux qui était en prison ou avait il des doutes ?  Je refusais de penser à ce qu'il se passerait si il doutait de leur culpabilité. Me reculant dans la chaise de suite après avoir parlé, je baissais les yeux sur mes bras, remarquant que en remontant les manches de mon pull à capuche plus tôt, j'avais révélé mes tatouages des Hell's Angels. Baissant rapidement mes manches, j'attrapais une nouvelle cigarette que j'allumais rapidement.