Astronautes.

En plein ciel, deux éperviers picorent un astre. ━ Octavio Paz.

Iise.
Elle s'appellerait Iise.

Évadée du monde à force de chercher mieux, son collier de larmes autour du cou, les tympans abandonnés pour ne plus rien entendre, les os rompus pour être plus légère une fois dans l'espace. Seule. Les étoiles comme perruque. Elle s'habillerait de nébuleuses, façonnerait des bijoux à partir des planètes les plus colorées. Le calme l'apaiserait et l'aiguille de ses talons tremperait dans la peinture du ciel, se fondrait en elle comme un dard dans la chair. Plus de chair pour ne plus souffrir. L'eau gelée sur ses joues pâles, astéroïdes en bracelets. Elle serait gardienne des secrets du silence et de la solitude. Le secret du repos. Collectionnerait les éléments de son petit univers, grandirait parmi les anneaux de poussière et le feu des gemmes qu'elle cognerait pour se préserver du froid mordant auquel elle résisterait, n'affectionnerait pas. Bas de galaxie brillants, gantelets de géantes rouges pour trancher du noir qui l'entoure et l'épuise. Le sacrifice des yeux pour ne plus rien voir. Sentir les comètes frôler sa nuque et sourire. Capturer la lumière et l'affiner. Forgeronne de la fatigue et des beautés. Joaillière éternelle. Minutie et patience inachevées. Lorsqu'elle s'éteint, embrasser chaque matériau et le border de couleurs éphémères. Faire naître les stries mouvantes pour les réchauffer.
Iise. Ça lui allait bien.

On lui avait autorisé la technique liquide parce qu'on le connaissait. N'avait aucune envie de préparer ses cours malgré son retard évident, se sentait simplement de peindre quelque chose. De laisser l'eau nourrie de pigments s'installer sur le papier épais. Précieusement, il essuya l'intérieur de sa palette avec son chiffon. Insista sur les angles. Rangea avec une lenteur presque exagérée ses affaires, laissant le temps à Iise de sécher. Beaucoup de bleu. Énormément de bleu, pas uniquement sur elle. Ses mains étaient des estampes. Ses lignes redessinées, les empreintes costumées. Il adorait cela.
Pencha le regard sur son carnet de notes, caressa du bout des doigts les pages du traité qu'il avait retourné dans tous les sens. La conquête spatiale. Un sujet qui avait plu aux élèves d'une classe en particulier, qui lui faisait un peu mal parfois. Il en parlait avec les professeurs de biologie, de physique, nouait des affinités avec les autres cours. Les lycéens avaient cela de bon qu'ils n'étaient pas assez grands pour trouver à redire sur ses choix, s'en trouvaient bien marris. Pas de diplôme à obtenir à la fin de l'année et pas de grand programme absolu pour une matière facultative. Il se faisait plaisir, y prenait goût. Tous ses élèves avaient la moyenne. Beaucoup en étaient jaloux.
Cela l'amusait.

Iise lui quémanda une récréation plus longue, ce qu'il lui accorda. Il alla déambuler comme une âme en peine parmi les rayons qu'il avait pris d'assaut bien trop de fois, mains dans les poches, rétines chatouillant les étagères les plus hautes. Pas de difficultés particulières, à part peut-être pour ceux d'en bas. Il avait toujours du mal à se baisser. Mais elle, c'était pour attraper quelque chose qu'elle peinait. Son regard le guida vers l'objet de son désir, effectivement haut. La manche tirée, lâchée, les doigts agiles venus commettre leur larcin. Il le lui tendit, avec un sourire qui n'avait rien de feint. Il ne l'imaginait pas ici, à dire vrai.
Une bonne surprise.

- ... Pourquoi un tel choix ?

♪:

Aujourd’hui serait une journée studieuse pour ma part. Ahah, à qui j’allais bien pouvoir faire croire ça? Pourtant c’était la vérité, et pour cela j’avais même décidé d’aller à la bibliothèque pour la première fois depuis mon arrivée à Lakeview. Je renonçais au maquillage trop flagrant, optant pour un style plus sobre au vu de l’endroit où je me rendais. Je mis donc des couleurs claires. J’enfilais ensuite un débardeur blanc accompagné d’une jupe bouffante blanche à motifs rouges et des chaussures à talons compensés. Une fois prête à sortir, je glissais mes cigarettes, mon téléphone, mon porte-monnaie et mes clefs dans une besace blanche, enfilait une veste en daim sombre. Je montais ensuite dans mon pick-up qui bien qu’antédiluvien était toujours présent à l’appel et démarra. Je fis une escale au Starbucks, me pris un moka au chocolat blanc et à la menthe poivrée et retournait à ma voiture, sirotant ma boisson tout en cherchant une place à un endroit adapté. Une fois ma tache accomplie, j’entrais dans la bibliothèque.

Sans regarder les gens autour de moi car je savais que je connaitrais personne, je fis le tour des allées en regardant où je pourrais trouver des livres sur la production, la réalisation et sur les compétences à acquérir qui y étaient apparentées. Lorsque je finis par trouver la rangée, je me glissais à l’intérieur et lu le nom des livres le long des étagères avant d’en trouver un qui m’appelait. Malheureusement celui-ci était un peu trop haut pour moi. Je me hissais donc sur la pointe des pieds, mais malgré la taille de mes talons il me manquait bien une dizaine de centimètres avant de réussir à attraper l’objet convoité. J’envisageais de grimper sur l’étagère du bas mais avant que je n’ai pu le faire une main apparue dans mon champ de vision et saisie le livre sous mes yeux. J’allais répliquer que je l’avais vu la première mais en me retournant je vis qu’il s’agissait de Tyee. Celui-ci me demanda pourquoi j’avais choisi ce livre.

- " Contente de te voir aussi Tyee »

Je lui lançais un sourire pour lui montrer que je le taquinais et tendis la main pour récupérer le livre en question. Tyee n'était pas l'homme le plus loquace du monde, au contraire, et je me plaisais à le charrier là-dessus. D’autant plus que sa réaction était tout à fait normale. En effet, le simple fait de me voir avec un livre avait de quoi surprendre, alors vous m'imaginez avec un livre sérieux? Et bien l'objet de mon désir n'avait rien d'une lecture pour le plaisir. J’avais choisi ce livre car je songeais à me réorienter professionnellement parlant. Et pour cela j’avais repris des cours par correspondance depuis quelques semaines. Si cela me convenait et que je trouvais un emploi à la hauteur, je quitterais mon poste au Frenchfries. Si je restais, il y avait de grandes chances que je finisse par devenir gérante, mais était-ce vraiment là ce que je voulais? C’était trop de questions pour le moment, aussi je décidais de garder toutes mes opportunités à porté de main, et de voir plus tard ce que ça donnerait.  Je répondis de la façon la plus honnête possible à la question de mon ami :

- « Disons que j’envisage mes options… »

Puis j’ajoutais :

- « Et toi qu’est-ce que tu fais ici ? »

Astronautes.

Vouloir être de son temps, c’est déjà être dépassé. ━ Eugène Ionesco.

Il baissa les yeux, sourit à peine.

- D-Désolé.

Evidemment qu'elle ne le prendrait pas mal. Ils se connaissaient suffisamment pour savoir s'apprécier comme ils étaient. Elle lui inspirait toujours cette crainte nerveuse que voir son véhicule épancher sa peine chez lui, il la savait innocente et en bonne santé, c'était tout ce qui importait. Même la voiture avait pu être réparée. Tout allait bien, il n'avait pas à s'en faire.
Shane récupéra son dû, et si sa voix restait calme et mesurée ses mains contre les couvertures étaient à peine trop agitées pour ne pas attirer son attention. Il regarda ses doigts s'aventurer fébrilement sur la tranche à la recherche de soutien, ne fit aucune réflexion sur le sujet et accepta sa réponse telle qu'elle était. Envisager des options. Il avait eu à téléphoner à la patronne du Frenchfries pour expliquer l'accident de son employée et l'excuser de son absence, avait regretté qu'une personne si jeune ne fasse pas d'études, ne lui avait rien dit. Et elle envisageait ses options, cherchait sans doute le calme, peu importait bien le sujet de ses réflexions. Il respectait cela. Ne l'importunerait pas longtemps.
Juste, vérifier qu'elle allait bien. C'était le plus important.

- J'aime... Beaucoup les l-livres. Leur compagnie. Et j-j'étais... En train de peindre. C'est... agréable.

Un sourire qu'il lui adressa tandis qu'il relevait les yeux, timide et fuyant. Il l'adorait, c'était un fait, se sentait mal de ne pas pouvoir la voir autrement qu'avec cette blessure à la tête dont elle n'avait plus aucune trace. Pas de là où il était, en tous cas.

- Je... Je peux t'être d'une aide q-q-quelconque ?

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